
et hortensias

(…) Par une nuit sans lune, à travers les hautes fougères de l’Artzamendi, Jacques et ses compagnons gravissent les Pyrénées. Le ciel blanchit à peine quand ils atteignent l’Espagne. L’air est frais en ce premier jour d’octobre. Mais la joie est de courte durée : le passeur borgne a joué double-jeu et la Guardia Civil arrête les cinq garçons avec une extrême violence.
La désillusion est amère pour ces jeunes, bercés par l’idéal de revenir, les armes à la main, libérer leur sol natal. Depuis 1936, l’Allemagne nazie soutient l’Espagne franquiste. N’est-elle pas responsable du bombardement du village basque de Guernica ? Suite à la visite d’Himmler, le Caudillo a fait ficher les 6 000 Juifs d’Espagne et malgré l’échec de l’entrevue d’Hendaye avec Hitler, Franco reste assurément du côté de l’envahisseur.
Le 2 octobre 1943, Jacques est interné au camp de Miranda de Ebro. Les conditions de vie y sont particulièrement pénibles : surpeuplement chronique, hygiène déplorable, alimentation insuffisante… Les Evadés de France sont traités comme des terroristes. Au régime concentrationnaire se greffe un régime carcéral : les détenus sont menottés, entassés à douze dans une cellule minuscule, sans couchage, ni couverture… Et la « mirandite », surnom donné à la dysenterie généralisée, fait des ravages.
Il y a deux directions à Miranda : l’une, policière et espagnole, est extérieure au camp ; à l’intérieur, un caïd français impose sa loi. La brutalité gratuite des gardiens marque les esprits, tout comme la discipline, complètement dénuée de sens. « Mañana », répètent les gardiens, « mañana : on vous libère demain. » Ces six lettres portent à elles seules de vaines espérances, sans cesse repoussées. Au point de devenir l’emblème des Evadés de France.
Son internement durera deux mois, douloureuse parenthèse sur laquelle Jacques restera très discret, au point de ne jamais l’évoquer devant ses enfants. Fort heureusement, Monseigneur Boyer-Mas, prélat entreprenant et controversé, légat officieux de Pie XII mais amant officiel de l’actrice Cécile Sorel, se montre très actif à la tête de la délégation de la Croix-Rouge espagnole. Il organise de nombreux convois pour échanger les Evadés de France contre du blé, des phosphates et du matériel dont l’Espagne a le plus grand besoin. Les hommes sont regroupés et acheminés par le Portugal et Malaga vers Gibraltar. De là, ils embarquent vers l’Afrique du Nord à bord du « Sidi Brahim » et sous escorte de navires de guerre.
Le 15 décembre 1943, Jacques débarque à Casablanca et est incorporé au FTA/33 (Forces Terrestres Anti-aériennes). Au mois de mai, il rejoint l’Ecole des Elèves Aspirants de Cherchell. Dotées d’armement moderne fourni par les États-Unis et le Royaume-Uni, les Forces Françaises Libres, réorganisées, unifiées et entraînées de façon intensive, vont devenir l’Armée française de la Libération (…).