
du château
Silhouette

(…) 16h, j’arrive dans le jardin de Notre Maison. Marie est assise dans son fauteuil. Toujours au même endroit. Sans lunettes, sans chapeau, jupe remontée sur les genoux, elle s’offretoute entière au dieu Soleil. La joue appuyée sur la main, les yeux fermés, Marie est ailleurs…
– Bonjour Marie.
– Ah, c’est vous Muriel (large sourire). Vous au moins, vous ne me demandez jamais comment je vais. Ça m’énerve ces gens qui me demandent comment je vais ! Qu’est-ce qu’ils croient (elle montre ses jambes bandées jusqu’aux genoux) ? Que je vais leur répondre : « Tout va bien ! » alors que je suis clouée sur ce fauteuil ?
– En vous voyant si songeuse, j’ai pensé à une version féminine de Rodin…
– Une version enfantine, plutôt. Je suis restée dans l’enfance (elle met ses deux mains en coupe sous son menton). Vous savez ce que disent les enfants, en voyant le penseur de Rodin : « Il est tout nu le monsieur, il pense à ce qu’il va se mettre pour s’habiller… » ?
– Si vous êtes restée enfantine, Marie, c’est peut-être parce que vous avez eu une enfance heureuse ?
– Et qu’est-ce que c’est, une enfance heureuse ?
– Quand les souvenirs de cette période sont très doux, peut-être ?
(Marie fait la moue)
– Oh vous savez, il y a eu de tout. Un jour, j’étais petite-fille, j’ai demandé à ma grand-mère pourquoi elle avait toujours l’air si triste. Elle m’a dit : « Tu vois ta maman ? Et bien, j’avais cinq autres enfants et il ne me reste plus qu’elle. » La pauvre femme avait perdu deux enfants du croup, deux autres de tuberculose et le dernier de la typhoïde… Ça m’a vraiment marquée. Alors, vous savez, le Bon Dieu… (Marie martèle l’accoudoir de son poing fermé). Quand je récite le « Notre Père », je m’arrête toujours en route. Je ne peux pas dire « Que Ta Volonté soit faite sur la Terre comme au Ciel ». Jamais. Ça, je ne peux pas. On ne peut pas enlever des enfants à leur famille… L’Eglise ? Elle vous soutient que la terre est plate. Pla-te… Et pourtant, elle est ronde. Et elle tourne. Ah ce pauvre Galilée, qu’est-ce qu’on lui en a fait voir… (…).